D'où vient l'idée de ce projet d'exposé ?

"Noms de dieux", clap centième. Place aux jeunes!

© La Libre Belgique 2003 Mis en ligne le 24/03/2003

Le 14 janvier 1992, Edmond Blattchen inaugurait à Liège l'émission "noms de dieux" sur les antennes de la RTBF.

Onze années plus tard, après avoir rencontré, interrogé et écouté 99 grands noms de la pensée contemporaine, belges et étrangers, il fait le choix audacieux de donner la parole à une dizaine d'élèves du Lycée Saint-Jacques à Liège.

Depuis 1993, Anne Salien, professeur de religion, y propose en effet à ses élèves de remettre par écrit et de défendre oralement, en rhéto, "leur" "noms de dieux.

Petit échantillon de leurs travaux.

LEUR CREDO

A. P.: "Si l'on me pose la question fatidique, je dirai que je doute, absolument. D'un autre côté, la question de dieu, chez moi, ne se pose pas. Dieu m'indiffère. Non. En fait, il m'intrigue mais face à son insolvabilité éternelle et parfaite, je préfère baisser les bras. Je n'agis pas de la sorte devant chaque épreuve à surmonter mais, ici, le caractère ardu de l'affaire m'enjoint à délaisser la question au moins à la réserver pour plus tard, bien plus tard, lorsque le temps pressera artères et ridules. Ainsi, tout naturellement, je n'ai aucune vision personnelle de Dieu. Ni une esquisse, pas même un croquis, pas une ombre et encore moins une once de couleur. L'inintelligible, le lointain, le flou, le "peut-être rien" et le "peut-être tout"."

Martin Ringlet: "Je ne crois pas en ce Dieu barbu perché sur son nuage qui aurait créé l'univers et qui regarde le monde comme on regarde "Loft Story". Je crois encore à la solidarité entre les hommes. Je refuse de croire, mais peut-être est-ce utopique, à la suprématie de l'argent sur l'homme. Je crois au pouvoir de la musique. Je crois au bonheur. Je crois que la vie vaut la peine d'être vécue."

C. S.: "Nous vivons (...) dans un monde d'yeux, un monde de regards pointés sur un univers commun mais perçu différemment, un monde d'imaginations qui permettent de créer des Dieux et de les transmettre aux autres (avec plus ou moins de tolérance et d'ouverture). Attention, je ne crois pas que tous ces Dieux n'existent pas, que les hommes se fourvoient; je pense que tous ces Dieux existent bel et bien; qu'ils prennent vie dès que quelqu'un prend la peine de les imaginer, d'y croire; de la même façon que, d'après la légende, les fées n'existent que parce que l'on y pense et s'éteignent avec notre croyance en elles."

Anne Sacré: "L'existence ou non de Dieu est une question que mon esprit rationnel et scientifique ne peut résoudre facilement, mais certains indices me poussent à croire qu'il existe. Il y a certainement toute mon éducation reçue de mes parents et entretenue à l'école. Il y a aussi le témoignage de tant d'hommes dont la vie est guidée par Dieu. Enfin, il y a toutes ces petites choses de la vie de tous les jours qui m'émerveillent. Croire en Dieu, c'est pour moi, croire en une force supérieure qui a tout créé, tout donné et qui inspire l'Amour. Ma foi n'est pas statique, je la remets sans cesse en question et elle n'est certes pas définitive."

LEURS PHRASES

"Timeo hominem unius libri" (Je crains l'homme d'un seul livre) - Saint Thomas d'Aquin -

"Je crains aussi l'homme d'une seule idée, d'une seule doctrine et ne jurant que par elle. Que sa doctrine soit scientifique, religieuse ou d'un tout autre domaine, cet homme peut être appelé intégriste. Voyant le monde avec des oeillères, il croit détenir la vérité, la seule, l'unique. Je crois que la pire barrière à la connaissance est de penser déjà connaître. L'homme d'un seul livre n'a plus rien à apprendre. Il croit déj à posséder le savoir et ne le cherche plus. Son évolution intellectuelle ou spirituelle s'arrête. Cette personne ne peut qu'être intolérante." (I. K.)

“Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel?” (Matthieu 5, 13) -“Tous les hommes ont un goût de sel, ce qui leur donne ce goût unique, ce sont leurs différences. Or, dans le monde d’aujourd’hui, les multinationales et la politique libérale tentent de nous uniformiser, de nous rendre tous semblables tels des clones, des consommateurs uniformes exprimant les mêmes désirs. Si nous perdons nos cultures et différences respectives, qui nous les rendra? Je souhaite garder et valoriser mes différences parce qu’elles me construisent et qu’elles font que je suis moi et pas une autre.”(M. T.)

“L’œil est la lampe du corps.” (Matthieu 6, 22) - “Moi, j’aurais écrit: le regard est plein de ce qu’il regarde. Si tu acceptes de regarder la misère sans essayer de rien modifier, tu es en quelque sorte quelqu’un de misérable. Si tu acceptes l’intolérance, tu risques d’être à ton tour intolérant. Si tu acceptes l’injustice, tu es injuste envers les autres. Ainsi, tu n’es que le reflet de ta vision des choses.” (Audrey Dor)

LEURS IMAGES

Une photo de Carlo Giuliani, un manifestant de 23 ans tué à Gênes en décembre 2001 - “On retrouve sur cette image deux valeurs totalement opposées: la soif de liberté et la violence, le meurtre. Cette image symbolise le ras-le-bol que certaines personnes éprouvent envers le moteur actuel du monde: le billet vert, l’argent. C’est le symbole d’un changement nécessaire car ils sont de plus en plus nombreux à réclamer plus de social et l’égalité pour tous. Elle symbolise ce que j’aimerais et n’aimerais pas pour le monde: je ne veux pas d’un monde de violence et de conflit, je veux un monde libre où chacun pourrait sans crainte exprimer ses opinions, où chacun aurait les moyens de se faire soigner et de manger à sa faim où qu’il vive dans le monde. Je ne veux pas de l’argent comme passeport, référence et pouvoir de décision.” (M. T.)

Une photo des adieux de Youri Gagarine avant son vol historique, le 12 avril 1961 - “Je peux retrouver dans cette photo plusieurs grandes valeurs. Tout d’abord, le sens du devoir. Que ce soit le soldat ou l’astronaute que l’on voit à travers cette photo, chacun accomplit son devoir. D’un côté, défendre son pays, ses valeurs, son honneur et, de l’autre, un astronaute qui prend ses responsabilités et qui contribue à la poursuite des progrès scientifiques. Le devoir est une valeur qui se perd de nos jours. On le voit encore récemment avec la France, qui, avec le récent premier tour des élections présidentielles, enregistre un taux record d’abstention. Les citoyens ne perdent-ils pas le sens du devoir? Le vote n’est-il pas le premier devoir de tout citoyen?”(Thomas Biquet)

Une photo de Marie Curie: “Au départ, Pierre et Marie Curie croyaient faire une invention qui ferait avancer de manière spectaculaire la médecine, ça a d’ailleurs été le cas. Malheureusement, si cette découverte a été bénéfique pour les radiologues, elle fut atrocement néfaste par la suite, lorsque des gens ont utilisé leur intelligence du mal pour imaginer l’élaboration d’un système explosif. (...) Je trouve que cette découverte permet de bien cerner le caractère de notre siècle. De fait, ce siècle fut à deux tranchants, nous pouvons même ajouter un siècle d’extrêmes, extrêmes dans le positif comme dans le négatif.” (Céline Paque)

LEURS SYMBOLES

La musique -“Pour certains, la musique est un ornement du silence, alors que pour d’autres, c’est une mort de celui-ci, exactement comme le bruit. Elle est pour moi (et d’autres) une sorte d’accident dans cette étendue infinie, plate mais pleine, blanche qu’est l’absence de son. Je pense que la vie est une sorte de musique, d’accident du silence. La vie est un accident dans la mort. Certains se demandent pourquoi la mort existe, ce qu’il y a après la fin de la vie sur terre. Pour moi, la question se pose dans l’autre sens: pourquoi, comment cela se fait-il que la vie existe? Comment la vie naît-elle? Le silence est la situation normale, stagnante; rien ne s’y passe. Puis, par hasard ou par magie, un son naît, parfois violemment, parfois tout doucement, et se déploie, grandit, court, vole, danse, hurle ou murmure pour finalement, après un long déclin ou sur une note explosive, laisser le silence reprendre ses droits. Cet immense silence face à la petitesse, la fragilité dérisoire de la mélodie. Certains essaient de tricher, de rendre la musique éternelle, en faisant se succéder les morceaux sans trêve, mais ailleurs ou plus tard, calme et décidé, le silence, à sa place, règne et règnera. Tolérant ces petits dérangements sans doute inutiles (?). Notre chance est d’être notre propre musique, de pouvoir jouer en quintet ou improviser un peu. Nous sommes un accident de la mort. C’est son existence qui est normale; nous sommes, grâce à une alchimie inconnue, nés pour nous déployer un temps et profiter de notre privilège pour rendre sa place à la mort, finalement. Selon moi, nous sommes des accidents.” (C. S.)

Les mains - “Pour moi, les mains peuvent être celles du pauvre qui mendie ou celles du riche qui donne; elles peuvent être fermées l’une sur l’autre ou ouvertes vers d’autres mains; elles peuvent être enchaînées ou libres; elles peuvent être prêtes à se battre ou tendues pour le pardon; elles peuvent dire merci ou féliciter; elles peuvent meurtrir ou apaiser et soigner... Je pense que les mains ont très souvent une attitude très spontanée. En effet, il est plus facile de mettre un masque sur son visage pour faire semblant que de cacher l’expression de ses mains.”(Anne Sacré)

Le masque -“Pour moi, le masque, c’est comme la mode: tout le monde le porte sans vraiment savoir pourquoi! Pour moi, le masque, c’est une barrière. Il rend chacun impersonnel, universel. Si personne ne l’ôtait, que la vie serait monotone.” (Audrey Dor)

LEURS DÉFIS

Thomas Biquet: “La société doit changer, se moderniser, mais comment? Doit-on retourner à un communisme qui a montré par le passé ses limites et ses faiblesses? Doit-on continuer dans un capitalisme à outrance qui ne favorise qu’une partie de la population mondiale? C’est certain, il y a un mal-être et j’espère que cela va changer! Je prône un capitalisme modéré! Des politiques sociales qui réduiraient les différences entre chacun mais aussi des politiques économiques qui favoriseraient le développement de la société!”

Anne Lacroix: “En ce qui me concerne, moi personnellement, j’espère ne pas trop vieillir d’esprit. J’aimerais arriver au bout de ma vie en aimant toujours autant les petites choses simples du quotidien et du monde de l’enfance. J’espère rester aussi insouciante que je le suis maintenant et rester aussi franche. Je ne voudrais pas devenir comme certains adultes calculateurs ou trop ambitieux, qui à la fin de leur vie, fatigués et aigris, voudraient revenir en arrière pour tout recommencer. J’aimerais devenir quelqu’un de bien, quelqu’un de responsable qui répandrait la bonne humeur et le bonheur autour de lui comme le ferait un enfant...”

Jeunesse peut aussi rimer avec sagesse

Pascal André

Mis en ligne le 24/03/2003

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Pour Edmond Blattchen, réalisateur de l'émission "noms de dieux", les jeunes ont beaucoup à nous apprendre.
Encore faut-il les écouter.

ENTRETIEN (extraits)

Ce jeudi, sera diffusé sur la deux le centième numéro de "noms de dieux". Quel est votre bilan après un peu plus de dix années passées aux commandes de cette émission?

Le mot qui, selon moi, domine cette série de rencontres, c'est la responsabilité. La plupart de mes invités étaient effectivement d'accord pour reconnaître que la tâche du prochain siècle serait moins d'y réintégrer les dieux que l'homme, qu'il était urgent de remettre celui-ci au centre de nos préoccupations, de redéfinir ses droits et ses devoirs. Ce qui ne veut pas dire que la spiritualité soit secondaire, mais celle-ci ne se justifie vraiment que si elle permet à l'homme de devenir davantage homme.

Retrouve-t-on cette préoccupation chez les jeunes que vous avez interviewés pour la centième de l'émission?

Oui, bien évidemment. Les jeunes sont sensibles à la spiritualité à condition que celle-ci soit incarnée, qu'elle mette l'homme debout. Ils se font, par exemple, beaucoup de soucis pour la qualité de l'environnement et l'accès à l'eau potable. Ils ont le sentiment que l'avenir de l'humanité est menacé, que le vaisseau Terre risque de ne pas arriver à bon port, si l'on ne réagit pas rapidement. Il est donc faux de dire que les jeunes ne s'intéressent plus à rien. Ils sont, au contraire, très engagés et se sentent une réelle responsabilité par rapport à l'avenir. Il suffit de regarder l'émission de jeudi pour s'en persuader. Grâce à eux, j'ai pris conscience que jeunesse pouvait aussi rimer avec sagesse. Certains seront sans doute surpris que je consacre cette centième émission à des jeunes totalement inconnus, et non à l'un ou l'autre grand nom de la pensée contemporaine. En fait, je voulais tout simplement montrer qu'ici, comme dans d'autres domaines, la valeur et le talent n'attendent pas forcément le nombre des années. Personnellement, c'est l'un des plus grands moments de ma vie professionnelle.

© La Libre Belgique 2003

Mise à jour : 16.08.2007