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Le mot chien n'aboie pas.(M. YAGUELLO)
Dans "Les Mots et les Choses", Michel Foucault montre que la réalité n'a d'existence que pour autant qu'elle est nommée. On a coutume de penser que les choses ont un nom et pourtant l'activité linguistique est une activité symbolique. Les mots ont un pouvoir conceptualisant : le mot crée le concept tout autant que le concept appelle le mot.
"Abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n'est qu'une masse amorphe et indistincte. Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaître que, sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d'une façon claire et constante... Il n'y a pas d'idées pré-établies, et rien n'est distinct avant l'apparition des langues.""L'enfant doit d'abord apprendre à se construire le réel. Après avoir senti l'odeur du chocolat, après l'avoir vu et savouré, il peut, petit à petit, reconstruire "le" chocolat." (Piaget)(F. DE SAUSSURE)
Les mots constituent un système autonome, indépendant de ce qu'ils nomment.
Les signes (puisque les mots sont des signes) se définissent les uns par rapport aux autres. Un signe est toujours interprétable par d'autres signes, soit à l'intérieur d'un même code, par la synonymie, la paraphrase, la définition du dictionnaire, soit par transposition dans un autre code, dans le cas d'une traduction, dont la difficulté même indique qu'il n'y a pas de relation univoque entre les mots et les choses.
Saussure a, le premier, défini le signe comme une entité à deux faces :
Le Signifiant et le Signifié sont les constituants inséparables du Signe linguistique. Le signe complet seul ( ni le Signifiant, ni le signifié) fait référence au monde extra-linguistique. (Fable du perroquet)
Le nom propre semble établir une relation directe entre Signifiant et Référent. Il ne serait donc pas un signe; même s'il entraîne des connotations (genre, exotisme, origine régionale, appartenance à un milieu social, rareté, ...) lorsqu'il a étymologiquement une signification précise, il est désémantisé. Le nom propre devient signe véritable lorsqu'il devient nom commun :
une poubelle, le boycott, un Picasso...
La même réalité est désignée de façon différente dans des langues distinctes bien que pour chaque locuteur, le signe recouvre parfaitement la réalité, il est cette réalité. Mais chaque langue est spécifique et confirme le monde à sa manière :
"S"il existe en malgache plusieurs mots correspondant à un nous français ou aux pronoms celui-ci, celui-là (prenant en compte l'éloignement relatif, la visibilité, etc. comme c'est le cas en latin ou en espagnol), il n'existe par contre qu'un seul mot désignant tous les aliments mangeables avec du riz ou encore tous les types d'abri, de récipient, de maison, de contenant, sans considération de taille ou de destination et sans distinction de contenu animé ou inanimé, humain ou non humain. Bref, un seul mot ne retenant que l'idée centrale de "lieu ou objet susceptible de contenir quelque chose ou quelqu'un". Idée abstraite qui ne peut être rendue en français qu'aux prix de longues explications. Le Malgache est pourtant parfaitement capable de distinguer entre maison d'habitation, tanière, cercueil, ruche, étui, hutte , etc. En réunissant tous ces objets sous une étiquette commune, il ne fait que conceptualiser ce qui leur est commun, négligeant les différences, linguistiquement non pertinentes. C'est pourquoi on ne peut ni calquer une langue sur la réalité, ni la calquer sur une autre langue. Le japonais, langue dite "à classes", affecte à chaque signe l'indication d'une catégorie, telle que, par exemple, celle des objets plats et ronds pour désigner les assiettes, disques, etc., indication conceptuelle qui n'est pas nécessaire dans d'autres langues. Et d'ailleurs, même dans les langues "à classes", la classification répond à des nécessités internes et pas forcément à une réalité objective. Dans un même ordre d'idées, le français éprouve le besoin de préciser pour tous les noms s'ils sont féminins ou masculins, mais cette classification, inexistante dans nombre de langues n'a guère de sens, sinon symbolique, en français, lorsqu'il s'agit d'objets inanimés. Le français désigne sous un terme unique, nous , des relations aussi différentes du point de vue de la réalité extra-linguistique que : moi et toi, moi et vous tous, moi et vous deux, moi et lui, moi et eux deux, moi et eux tous, nous deux et toi, nous deux et vous deux, nous deux et vous tous, nous deux et lui, nous deux et eux, nous deux et eux deux, etc. Si l'on ajoute à cette liste : moi une femme et toi une femme, moi un homme et toi un homme, moi une femme et toi un homme, etc., on aura compris où je veux en venir. Sans que nous en soyons conscients le moins du monde, lorsque nous disons nous , ce nous peut avoir une infinité de référents possibles. Beaucoup de langues possèdent plusieurs pronoms là où nous n'en avons qu'un, rendant compte de certaines des distinctions que je viens d'évoquer (malgache, langues amérindiennes, philippines, certaines langues asiatiques, etc.) En particulier, beaucoup de langues distinguent un nous "inclusif" (incluant l'interlocuteur) et un nous exclusif (excluant l'interlocuteur mais incluant un tiers absent. D'autres langues font des distinctions de sexe. Cela ne veut pas dire que le francophone soit incapable de se représenter ces distinctions; simplement sa langue les résume toutes pour lui sous un signifiant commun auquel répond un concept unique : nous = "un groupe de personnes indéterminé quant au nombre ou au sexe incluant le locuteur ". (On notera que, par ailleurs, l'interlocuteur unique peut être désigné par un vous ou par un tu , selon la relation que l'on a avec lui, distinction qu'ignorent la plupart des langues et que certaines effectuent autrement.) Ajoutons que la méconnaissance du fonctionnement autonome de la langue, l'incompréhension de la différence entre le linguistique et l'extra-linguistique ont servi de justification à des considérations racistes sur l'infériorité des langues et des peuples dits primitifs. Or, le général et le particulier, l'abstrait et le concret sont, pour des raisons qui nous échappent, distribués différemment dans les langues. Il n'y a aucun jugement de valeur à en tirer, surtout pas l'illusion de la supériorité des langues, et donc des cultures, indo-européennes, fondée sur une prétendue aptitude à la généralisation et à l'abstraction."(M. Yaguello, Alice )
L'idée que le découpage linguistique ne coïncide pas avec la réalité a inspiré l'hypothèse de Sapir-Whorf selon laquelle la vision du monde des sujets parlants se trouve entièrement déterminée par la structure de leur langue.
"Chaque langue, écrit Whorf, est un vaste système de structures, différent de celui des autres langues, dans lequel sont ordonnées culturellement les formes et les catégories par lesquelles l'individu non seulement communique mais aussi analyse la nature, aperçoit ou néglige tel ou tel type de phénomènes et de relations, dans lesquelles il coule sa façon de raisonner, et par lesquelles il construit l'édifice de sa connaissance du monde (...). Nous disséquons la nature suivant des lignes tracées d'avance par nos langues maternelles."Dans la mentalité populaire, l'idée que la langue reflète la logique est solidement ancrée. L'ennui, c'est que chaque peuple pense que sa langue est plus logique que celle du voisin.
Cette théorie est battue en brèche aujourd'hui par le courant "universaliste", qui postule, au contraire, sous des différences de surface, des opérations mentales identiques (sans nier les effets d'un certain conditionnement culturel lié aux représentations de surface). Peut-être faut-il tout simplement séparer pensée et culture.
Mise à jour : 30.03.2008