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La question de la signification d'un énoncé exige la prise en compte d'un contexte et d'une situation de discours (facteurs sociaux et psychologiques). Le mot isolé a un sens mais pas de référence. La phrase a
- un sens issu du rapport créé entre les signes,
- une référence, c'est-à-dire une mise en rapport avec une situation même imaginaire.
Mais le sens ne repose pas seulement sur les mots (cfr son pur, poésie, comptines); la mélodie (slogans, proverbes) en dit "autant" que les paroles :
Qui trop embrasse manque le train. C'est en schtroumfant qu'on devient schtroumpferon."A la demande, l'Idole créa l'Empêchement et l'Expérience. Mais l'Expérience était informe et vide; et les confirmations couvraient le traité et l'avarice de l'Idole se mouvait au-dessus des ouates. L'Idole dit : "Que la Paupière soit"; et la Paupière fut. Et l'Idole vit que la paupière était bonne. Et l'Idole sépara la paupière des confirmations. L'Idole appela la paupière Mesure et les confirmations Preuve. Et il y eut une aventure et il y eut une moutarde. Ce fut la première Mesure...
(R. QUENEAU)
Voir aussi la technique OULIPO "S+7" selon laquelle on remplace chaque mot d'un texte par le 7e de même classe qui le suit dans le dictionnaire. Si le dictionnaire est volumineux, des mots très rares apparaissent qui ont une haute valeur évocatrice à l'opposé des mots courants qui ne sont pas perçus en détail mais devinés, cfr Verlaine :
De la musique avant toute chose Et pour cela, préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air Sans rien en lui qui pèse ou qui pose Il faut aussi que tu n'ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint.
La rime diffuse le sens; en mettant en rapport des signifiants qui se ressemblent, elle force un rapprochement des signifiés.
Le parallélisme grammatical est lié au rythme essentiellement binaire, bilatéral qui anime l'homme :
Tel père, tel fils. Qui vole un oeuf, vole un boeuf.
Ce type de formulation, qui peut se ramener à deux grands types : opposition et comparaison, contribue de toute évidence au sens.
Tous les mots n'ont pas le même poids de sens. Les noms sont les plus riches et les moins redondants, puis, par ordre décroissant : adjectifs, verbes, adverbes, prépositions, conjonctions, articles et particules.Voici un exercice d'OULIPO créant à partir des seuls substantifs d'un poème, un autre poème :
la Première Pierre La rue plus bas que terre le puits sans fond d'où rien ne sort la maison où je n'entre pas contre la jetée la mer casse ses vitres comme cassent les coeurs dans des villes où l'on s'accouple pour mourir dans les arbres où dorment les derniers navires à travers le plaisir la distance appareille un train passe en hurlant qui cherche le sommeil et tant de mains qui ne savent ce qu'elles tiennent ce qu'une main peut bien réellement tenir et retenir d'un lit fripé par la sueur tant de mains inertes sur la table et qu'à cette heure un peu partout la lassitude considère quand ma raison c'est cet octobre tout recouvert du premier sang que tu versas et qui goutte à goutte s'égoutte sur l'amour que je n'oublie pas Pierre Une rue et la terre un puits une maison une jetée et la mer des vitres et des coeurs des villes des arbres et des navires le plaisir et la distance un train et le sommeil des mains une main un lit et de la sueur des mains et une table l'heure et la lassitude la raison et octobre du sang des gouttes un amour.
Les poèmes tronqués, réduits à leur section rimante, révèlent l'accumulation du sens en fin de vers, le reste étant plus ou moins redondant. Queneau l'a illustré à partir d'un poème de S. Mallarmé :
Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change, Le poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu pas Que la mort triomphait dans cette voix étrange Eux, comme un vil sursaut d'hydre oyant jadis l'ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief! Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s'orne, Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur, Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noir vols du Blasphème épars dans le futur. | Change nu connu : étrange! L'ange de la tribu sortilège bu noir mélange ô grief! Un bas-relief s'orne d'un désastre obscur : sa borne dans le futur. |
Autre exemple, les hymnes spirituels écrits par Racine, si on les réduit au groupe de mots entourant la rime, font surgir des images amoureuses profanes en contradiction avec le sentiment d'élévation religieuse ouvertement affiché.
Cette répartition de sens, lorsqu'elle est délibérée, devient une technique de codage du message dans les "vers brisés", un jeu littéraire, qui prend parfois des aspects d'arme idéologique secrète comme on peut le voir dans l'exemple qui suit :
Vive, à jamais / l'empereur des Français La famille royale / est indigne de vivre Oublions désormais / la race des Capets La race impériale / est celle qu'il faut suivre Soyons donc le soutien / de ce Napoléon Du Comte de Chambord / chassons l'âme hypocrite C'est à lui qu'appartient / cette punition La raison du plus fort / a son juste mérite.
ou dans celui-ci:
Mademoiselle, Je m'empresse de vous écrire pour vous déclarer que vous vous trompez beaucoup si vous croyez que vous êtes celle pour qui je soupire. Il est bien vrai que pour vous éprouver je vous ai fait mille aveux. Après quoi vous êtes devenue l'objet de ma raillerie. Ainsi ne doutez plus de ce que vous a dit ici celui qui n'a eu que de l'aversion pour vous, et qui aimerait mieux mourir que de ...etc.Lire une page dédiée aux vers brisés ?
Le sens est aussi lié aux fonctions de l'énoncé : paroles rituelles, religieuses ou magiques, comptines, ritournelles :
Je te tiens, tu me tiens par la barbichette,... La p'tite bête qui monte, qui monte... Amstramgram, pique et pique ... Pomme de reinette et pomme d'api...
La poésie peut être définie comme une hésitation entre la forme et le sens; comme un langage où prime l'organisation phonétique, comme la quintessence du jeu d'où toute finalité est bannie. On assiste dans certains cas à une destruction du sens (voir le vertige qui nous prend à contempler un mot isolé). Mais est-ce encore de la poésie quand le langage n'est plus communion entre les hommes ?
D'autres formes de jeu poétique se fondent sur l'aspect visuel du mot : les Calligrammes révèlent un sens nouveau.
Parfois la parole, désémantisée, devient incantatoire : opéra, musique contemporaine.
Mise à jour : 30.03.2008